Journal des Roses, vol. 12, pp. 51-54 (1 Avril 1888)
A Monsieur Scipion Cochet, rosièrste à Grisy-Suisnes.
Mon cher ami,
Pour répondre au désir qui m'a été exprimé tant par l'éditeur du Jardin, notre ami Godefroy, que par plusieurs de ses collaborateurs, aussi nos amis, j'ai publié dans ce journal, une note sur les meilleures variétés de roses obtenues par F. Lacharme afin de les signaler à l'attention de ceux de nos collègues qui pouvaient ignorer leur origine.
Avec la plus grande courtoisie, tu as cru devoir m'exprimer les regrets qu'une note de cette nature n'aie pas été communiquée aux lecteurs tout particuliers du Journal des Roses, c'est donc avec la plus franche cordialité et sans aucune ostentation de ma part, que nous nous empressons, notre collègue Godefroy et moi de répondre à ton désir en t'invitant à la reproduire sur ton estimable journal.
En conséquence de cette publication, et aussi afin de permettre aux Sociétés d'horticulture et aux nombreux amis qui ont bien voulu nous prêter leur bienveillant concours, de répondre à l'appel des comités, je propose de reculer au 1er juillet prochain la date primitivement fixée au 1er avril, comme délai pour recevoir les généreuses offrandes destinées à l'érection d'un monument sur la tombe de notre regretté collègue Lacharme.
Agrée, mon cher ami, etc.
La plupart des journaux horticoles français et étrangers ont honoré la mémoire de Lacharme, dont l'horticulture déplore la perte récente. Ils ont fait son éloge comme homme honnête et laborieux aussi bien que comme semeur émérite, connaisseur et consciencieux.
Le nom de Lacharme est connu dans l'Europe horticole tout entière ; nous pourrions dire dans le monde entier tous ceux qui s'occupent de la culture des roses, commerçants ou amateurs, l'ont entendu prononcer. Et cependant, parmi nous, combien ignorent les belles et magnifiques variétés de roses que nous lui devons, et les services qu'il a rendus aux spécialistes qui cultivent en vue des halles et marchés.
Nous pensons être ici l'interprète de tous ceux qui aiment cette fleur charmante, essentiellement française (la sœur sans conteste de cette autre fleur adorable, la compagne fidèle et ingénieuse du sexe fort) par sa fraîcheur, sa grâce et sa délicatesse, eu donnant aux nombreux lecteurs, aux aimables lectrices du Jardin, la nomenclature des variétés les plus remarquables que notre regretté collègue a obtenues.
Lorsqu'on saura que Lacharme a débuté en 1843 par la mise au commerce de cette charmante miniature qu'il appela Ernestine de Barante et qu'on cultive encore aujourd'hui après quarante-cinq années d'existence, on ne sera pas surpris d'apprendre que le nombre des variétés provenant de ses semis, et qui ont figuré dans les collections depuis cette époque, dépasse le chiffre de cent. Elles ont eu chacune leur mérite réel, et si quelques-unes d'entre elles ont disparu des cultures, c'est que depuis leur naissance, il en est apparu d'autres susceptibles de les faire oublier, tandis que le plus grand nombre se rencontre et se rencontreront longtemps encore en première ligne dans toutes les collections, malgré leur ancienneté.
Il y a environ quarante-quatre ans, Lacharme étonnait les amateurs avec la splendide et monstrueuse rose Louise Perronny (appelée successivement par d'autres contrefacteurs Laelia et Commandent Laporté), la plus grande et la plus belle jusqu'à l'apparition, en 1870, de Paul Neyron!
L'année suivante, il nous donnait les belles variétés de l'Ile-Bourbon: Henry Lecoq, Menoux; et Marquise de Moyria ainsi que sa jolie Centfeuilles remontante Cornet.
Nous voyons ensuite apparaître (il y a de cela trente-neuf à quarante ans), l'Ile Bourbon Réveil, la charmante Laure-Ramand, de couleur chair, et le magnifique thé Mêlanie Villermoz toujours cultivé, très recherché et non dépassé ; puis viennent cette délicieuse Madame Phelip dont la forme coquette et le coloris si frais et si délicat font encore l'une des bonnes variétés, ainsi que la première de ses jolies roses blanches, Madame Rècamier, toujours fleurie.
En 1854, il livrait au commerce, parmi plusieurs belles variétés, le remarquable mousseux remontant Salet, l'un des premiers de cette série qui devait devenir par la suite ce qu'il est devenu et resté, une source de profits pour les forceurs et ceux qui les approvisionnent.
Un an après nous héritions de Paeonia, variété rustique, très vigoureuse et très florifère, cultivée eu très grande quantité de nos jours.
Que dirons-nous pour ajouter à la gracieuseté de cette rose, d'une blancheur de Lys, qu'en 1858 il donnait au commerce sous ce nom si légitime de Virginale? Qu'y a-t-il de plus parfait? Vingt-huit années se sont écoulées depuis 1859, époque à laquelle il nous dota de deux de ses plus remarquables gains que chaque jardin possède ou possédera. Tout le monde veut et doit avoir Anna de Diesbach et Victor Verdier (du nom de notre regretté père pour lequel Lacharme avait et a toujours conservé la plus grande estime). Quand même elles seraient seules, ces deux variétés suffiraient pour perpétuer à jamais parmi nous le souvenir de notre vénéré collègue; car, c'est par centaines de mille que chacune d'elles à été depuis lors multipliée. Anna de Diesbach est toujours l'une des principales ressources du forceur, et Victor Verdier restera le type d'une série de roses des plus remarquables et des plus remontantes.
Les charmantes et coquettes roses blanches Madame Gustave Bonnet, Louise Darzens et Madame Alfred de Rougemont, continuellement fleuries, font leur apparition; elles sont et seront longtemps recherchées. Voici maintenant venir les roses de coloris foncés: Praire de Terre-Noire, Charles Lefèvre, Baron Adolphe de Rothschild, Alfred Colomb, Souvenir du docteur Jamain, Xavier Olibo, que nous ont donnés les années 1862, 1863 et 1864. Aucune d'elles, n'a encore été abandonnée: elles resteront longtemps encore un des principaux titres de gloire du grand rosiériste.
Une nouvelles série de ces délicieuses roses blanches rustiques de végétation vigoureuse vient s'ajouter à celles déjà citées; ce sont: Baronne de Meynard, Boule de Neige, Coquette des Alpes et Coquette des Blanches! Quoi de plus joli et de plus délicat que ces variétés toujours en fleurs! quelle virginité de coloris! Coquette des Blanches n'est-elle pas encore une de celles qui font le bonheur des fleuristes pour l'approvisionnement des halles et marchés pendant l'hiver! Mais un nouveau triomphe est obtenu dans la malheureuse année 1870. — C'est un véritable bijou: végétation luxuriante, fleurs d'une forme exquise; et le coloris... quelle richesse de tons! A qui le consacrer? Ah! il y a de part le monde un horticulteur illustre ; c'est à lui qu'il convient de dédier une aussi belle trouvaille; aussi, depuis ce jour, trône-t-elle dans toutes les collections sous le nom de Louis Van Houtte.
Lyonnais et Président Thiers suivent, bientôt accompagnées de Perles des Blanches puis Madame Lacharme, sorte de Jules Margotin à fleurs blanches qui s'épanouissent malheureusement trop difficilement dans bon nombre de localités.
Halte-là! voici maintenant une nouvelle recrue dont lui fait présent son enfant Victor Verdier; elle fera le tour du monde, celle-là, et partout elle sera choyée et bien accueillie. Il y a de cela quinze ans, et depuis ce temps le Captain Christy circule dans tous les jardins de l'univers, ou le voit dans toutes les villes, sur tous les marchés aux fleurs; il envahit les serres des forceurs d'où ses fleurs de coloris chair satiné de la plus idéale fraîcheur s'échappent bientôt pour aller embaumer les salons. Rien n'est plus frais ni plus délicat que cette magnifique rose dont le splendide feuillage large et luisant, rehausse encore l'éclat. C'est ici, Lacharme, que les rosiéristes de toutes les nations peuvent te décerner la couronne de lauriers que tu as si bien conquise et méritée...!
Mais ce n est pas tout, nous avons encore quinze années à parcourir pour en extraire ses plus récents succès; nous continuons donc notre revue pour signaler jusqu'au bout les remarquables variétés dont la rosiculture lui est redevable.
En 1874, le Souvenir du Baron de Semur, rose de coloris foncé; en 1875, Comtesse de Serenye et Léonie Giessen, toutes deux de coloris tendre, suivies de Jean Soupert et Hippolyte Jamain, dont aucune collection de choix ne saurait se priver, viennent s'adjoindre à leurs devancières. Nous signalerons encore la dernière venue parmi ses jolies variétés à fleurs blanches, Madame François Pittet, et nous appellerons l'attention des amateurs sur une variété hors ligne, remarquable à tous les points de vue, le Thé Madame Lambart.
Une forme similaire au Captain Christy nous est révélée eu 1879 en même temps que la charmante Catherine Soupert, aussi de coloris carné tendre, Hélène Paul et Victoire Bouyer apparaissent en 1881 avec des formes irréprochables et des coloris carné tondre, argenté ou blanc crèmeux.
Il y a cinq ans, l'année 1883 nous fournit l'Eclair, variété splendide de coloris éblouissant et des plus floribondes, à laquelle on peut prédire sans crainte un demi-siècle d'existence. Alphonse Soupert entre eu scène en 1881 avec des fleurs extraordinaires de grandeur, et en 1886 la gigantesque variété qu'il dédia à Mademoiselle Clara Cochet, la charmante fille du fondateur du Journal des Roses faisait son entrée dans le domaine de l'horticulture.
Enfin en 1887, au moment où la mort allait le frapper, il nous dotait d'une des plus remarquables variétés de rose thé à fleurs idéalement parfaites de forme et de coloris jaune clair, dont il avait offert la dédicace à Mademoiselle Henriette de Beauvau.
L'année 1888 nous ménageait des surprises; il nous en avait informé et nous nous réjouissions avec lui en attendant le moment où il nous aurait été donné de les partager.
Ainsi que peuvent s'en convaincre les lecteurs du Jardin, la liste des roses remarquables dont on doit l'existence à Lacharme est fort longue; elle n'est pas exagérée, car celles que nous avons omises formeraient encore une collection choisie.
Nous ne ferons plus qu'une remarque, c'est que cet homme honnête et loyal était eu même temps l'une modestie extrème; il n'a méme pas cru devoir lui-mème perpétuer soit nom on le donnant à l'un de ses gains.
Nous ne voudrions pas renouveler, ici des récriminations malheureusement trop souvent formulées à tort ou à raison; cependant nous ne pouvons renoncer à exprimer les regrets de tous ceux qui ont connu Lacharme et qui savent apprécier les services qu'il a rendue: c'est que la distinction qu'il méritait si bien et à tous égards n'ait pas brillé sur sa poitrine.
Les rosièristes ne l'oublieront pas et ils honoreront en mémoire en faisant ériger sur sa tombe titre marque durable de leur sympathie et do leur reconnaissance, oeuvre is laquelle ils convient tous ceux qui aiment et cultivent les roses.
Eug.. VERDIER fils ainé.
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